LES TERRES RARES PÉTROLE DU 21éme SIÈCLE
Les métaux de Terres Rares sont le sel de vie de notre révolution technologique, utilisée dans les iPads, les téléviseurs à écran plasma, lasers et les convertisseurs catalytiques pour les moteurs de voiture. Le Dysprosium est crucial car il est l'aimant le plus puissant au monde, et reste également stable à des températures très élevées. Le néodyme est utilisé dans les voitures hybrides, le terbium réduit la consommation d'énergie pour les ampoules basse consommation, de 40 %...
Ces métaux sont également utilisés dans les armes de précision guidées, missiles, avions, drones, satellites et les équipements de vision nocturne. Le M1A2 Abrams, célèbre Tank d'assaut américain et le Aegis Spy-1 radar reposent tout les deux sur le samarium sans compter toutes les énergies alternatives; solaire, éolienne, nucléaire,...
Investir dans les terres rares comme on parie sur des actions ? Alors que les prix des métaux industriels continuent de baisser, des sociétés financières proposent aux particuliers d'investir dans les « terres rares », ces métaux confidentiels et coûteux qui entrent dans les fabrications de haute technologie et dont la Chine assure plus de 95 % de la production.
QUE SONT-ELLES ?
Les terres rares ont d’abord été découvertes au XVIIIème siècle,
en Suède, en terrain granitique. En France, Louis-Nicolas Vauquelin s’y
était intéressé dans le Limousin. Il a fallu les identifier, les chimistes ne
sachant pas combien il y en avait. La théorie quantique a permis de
répondre à cette question.
Il en résulte qu’il y a dans la classification périodique dix-sept
éléments qui sont appelés terres rares. Il s’agit du scandium, de l’yttrium, du
lanthane, du cérium, du praséodyme, du néodyme, du prométhium, du
samarium, de l’europium, du gadolinium, du terbium, du dysprosium, de
l’holmium, de l’erbium, du thulium, de l’ytterbium, du lutétium.
Leur nom est lié à l’île suédoise d’Ytterby, qui a permis de
nommer l’yttrium, le terbium, l’erbium et l’ytterbium.
Globalement, les terres rares représentent une famille très
homogène et ont des propriétés communes. Certaines sont néanmoins
spécifiques. Il convient de distinguer ainsi les terres rares légères et les
terres rares lourdes.
Les terres rares sont contenues dans des minerais.
Elles doivent donc être séparées, ce qui pose de nombreuses difficultés.
La monazite
Ce minerai, qui a été exploité à La Rochelle par Rhodia, est un
minéral de phosphate de terres rares ayant une forte radioactivité.
La monazite est associée aux minéraux de titane et le zircon dans
les gisements de sables de plage exploités dans de nombreux pays. Seuls
deux pays extraient des terres rares à partir de la monazite : l’Inde et le
Brésil. Mais il s’agit de petites quantités.
Le thorium
Pour le moment, le thorium n’a pas d’utilisation. Des projets de
centrales au thorium existent, mais restent en l’état. Les Indiens étaient les
plus avancés pour un tel projet.
Les carbonatites
Ce sont des massifs rocheux de gros tonnages mais à terres rares
légères et à teneur faible.
Les minerais ioniques
Ce sont les minerais terres rares lourdes du sud de la Chine. Il
s’agit de granites décomposés en argiles latéritiques enrichies en terres rares
résiduelles qui peuvent être libérées par une simple attaque acide.
Les monazites hydrothermales
Ce sont des gisements intéressants car ces monazites
hydrothermales ne sont pas radioactives. On connaît un tel gisement en
Afrique du Sud dont la production pourrait démarrer à court terme.
UNE PRODUCTION TRES CONCENTREE, MALGRE UNE
EVOLUTION DEPUIS 2010
La Chine a un rôle central, mais la crise de 2010 a entraîné dans
les autres pays des évolutions qui deviennent significatives sans pour autant
être suffisantes. Le récent panel de l’OMC apporte un éclairage nouveau sur
les devoirs de la Chine, mais semble toutefois insuffisant pour changer les
rapports de force à court terme.
Les terres rares légères sont extraites au Nord, à Baotou, autour
d’un gisement très important de minerai de fer où les terres rares sont
extraites en sous-produits.
Les terres rares lourdes sont essentiellement produites au Sud,
dans une myriade de petits gisements exploités par plus 1500 petits mineurs
artisanaux, le plus souvent illégalement. Ces minerais du Sud sont moins
radioactifs, mais entraînent des désordres inhérents à la mine artisanale.
Dès 2003, la Chine a envisagé de restructurer son industrie de
terres rares autour de ces deux grands pôles, au Sud et au Nord.
Quelques chiffres, relevés par M. Christian Hocquard, montrent
l’importance des exportations non contrôlées : « les pays de l’OCDE
importent et consomment environ 50 000 tonnes de terres rares par an,
alors que la Chine n’en exporte officiellement que 15 000 tonnes (soit 50 %
seulement des quotas d’exportation fixés à 30 000 t/an !) ».
b. La Chine ne se limite plus à la production et à l’exportation,
mais met en place de manière assez systématique une
véritable filière
La Chine extrait des terres rares. Mais elle ne se limite plus à
cette activité à faible valeur ajoutée. Elle a des foires aux terres rares.
Plusieurs de ses instituts s’intéressent aux terres rares. Son laboratoire
d’optique en Mandchourie est très efficace.
Elle essaie d’attirer les investissements dans des usines de
séparation. Solvay a ainsi des usines métallurgiques en Chine et des contrats
d’approvisionnement avec des producteurs chinois.
La Chine vend à ceux qui payent le plus ou qui l’aident à utiliser chez elle ce qu’ils produisent. Elle achète des mines et des terres.
La Chine investit aussi à l’étranger. À Kvanefjeld au Groenland,
les investissements chinois pourraient atteindre 1,5 milliard de dollars, mais
l’objectif premier est la production d’uranium, avec une production de
terres rares en sous-produits, qui seront envoyés en Chine pour être séparés
et purifiés.
La crise de 2010 a relancé la production et la séparation
hors de Chine
Suite à l’augmentation des prix, les États Unis (qui représentent
6,5 % de la production mondiale) ont repris des activités qu’ils avaient
abandonnées dans les années 80, car ils les jugeaient trop polluantes.
L’Australie (4 % de la production mondiale) a fait de même. Il y a
maintenant une volonté dans ces deux pays de développer leur production.
Il y a des centaines de projets en prospection. Mais seuls quelques-uns se
réaliseront.
Les États-Unis et l’Australie relancent leur production, grâce
à deux sociétés : Molycorp et Lynas
Lynas exploite en Australie une mine et traite les concentrés afin
de les séparer et de les purifier. Elle a fait construire une usine de séparation
et de purification en Malaisie, par un conglomérat australo-français.
Molycorp dispose d’un gisement et d’une usine aux États-Unis,
la mine de Mountain Pass ayant été remise en activité. Elle contrôle aussi,
par des acquisitions, l’ensemble de la chaîne « mine to magnet ». Elle
dispose notamment d’une usine en Estonie pour la séparation des terres
rares et d’une autre en Chine pour élaborer les aimants permanents.
Toutefois, Lynas et Molycorp – avec des capacités de production
annoncées d’environ 30 000 tonnes par an – produisent principalement des
terres rares légères, les plus impactées par la baisse des cours. Leur survie
dépend donc de la qualité de leurs contrats « off-take ».
La multitude de projets de production de terres rares va
conduire à l’émergence de seulement quelques autres
producteurs
Les chiffres peuvent varier, selon que l’on parle de projets
miniers ou de projets d’exploration, selon qu’on considère la situation en
Chine, hors de Chine ou au niveau mondial, mais la tendance est la même :
seuls quelques projets se réaliseront car la rentabilité est incertaine ; seules
quelques sociétés juniors survivront ; la dépendance continue, même si elle
s’est allégée.
Dans l’Union européenne, la production est égale à zéro. Ce n’est
pas forcément dramatique, mais le problème peut venir de l’insuffisante
diversification de la production. Les importations européennes ont baissé de
20 000 tonnes en 2008 à 8 000 tonnes en 2013, car plusieurs entreprises ont
déplacé leurs premiers stades de l’obtention de terres rares en Chine (Solvay
est sur place). Les lieux d’approvisionnement évoluent par ailleurs, en
faveur des États-Unis (pour 10 à 15 % des importations), voire de la Russie
sous la forme de semi-terres rares transformées.
Il y a des gisements de terres rares au Groenland, à Kvanefjeld, et
en Suède, à Norra Kärr. Un gisement a été récemment signalé en
Allemagne.
Le gisement de Norra Kärr est un gisement de terres rares
lourdes. Il pourrait même être le principal gisement mondial de terres rares
lourdes. Il est bien situé, mais de taille insuffisante pour justifier une usine
de séparation-purification dédiée. Or c’est là ou se fait la marge.
Au Groenland, la situation est plus compliquée, pour des raisons
d’infrastructures, d’éloignement de la côte, d’accessibilité en cas de glace,
mais aussi pour des raisons juridiques, une loi refusant l’exploitation de
sites radioactifs. Le débat politique y est par ailleurs vif sur l’utilisation des
ressources naturelles.
L’exploitation de ces ressources dans l’Union européenne devra
tenir compte de Natura 2000 et de l’environnement, ce qui pose le problème
de la superposition des mesures par chaque niveau de compétence. Il faut
par ailleurs que l’exploitation soit acceptée par l’opinion publique.
COMMENT POURRAIT ÉVOLUER LE MARCHÉ ?
La situation est plus tendue sur certaines terres rares que sur
d’autres. L’évolution de l’offre ne sera pas suffisante pour changer
l’équilibre du marché, et la croissance de la demande ne sera que peu
affectée par le recyclage et les possibilités de substitution.
1. Les réserves physiques restent abondantes, sauf pour
cinq terres rares, mais la production est freinée par les
contraintes environnementales et des difficultés
techniques lors de la séparation
Il y a beaucoup de terres rares légères, même si la situation est
plus compliquée pour les terres rares lourdes. Les terres rares ne sont pas
rares.
Cinq terres rares ne seront plus en quantité suffisante dans les quinze années à venir : le terbium, l’yttrium, le néodyme, l’europium, le dysprosium.
Le risque de pénurie est réel mêmes’il y a probablement des gisements non identifiés ».
Les prix reflètent cette situation de l’offre, au-delà des pics liés
aux tensions politiques : Alors qu’ils étaient de 10 000 dollars par tonne
depuis quarante ans, et qu’ils ont atteint 40 000 dollars en 2010, ils sont
maintenant redescendus à 15 000 dollars.
L’offre est actuellement freinée par la prise en compte des
exigences environnementales, mais aussi par des difficultés rencontrées
dans l’extraction et la séparation qui, lorsqu’on utilise des solvants, ne
donne pas des quantités importantes de terres rares par rapport aux produits
traités. C’est tout l’intérêt de la recherche sur des terres rares solides qui
permettraient de résoudre les problèmes d’environnement et de minimiser la
radioactivité.
La demande est actuellement croissante
Cette augmentation de la demande est liée au développement des
technologies utilisatrices, mais aussi à la montée en puissance des pays
émergents. Les applications sont multiples, qu’elles concernent les aimants,
la métallurgie, les batteries, les catalyses, les poudres abrasives, ou la filière
nucléaire.
La demande va être particulièrement forte pour le néodyme, une
terre rare intermédiaire, liée à la fabrication des aimants permanents à
néodyme-bore-fer (avec du dysprosium pour des utilisations dans des zones
chaudes au-delà de 150°C).
Les utilisations sont telles qu’il va falloir de grandes quantités de
terres rares pour les aimants permanents, de l’ordre d’une tonne de néodyme
pour une seule éolienne.
Le recyclage est déjà une réalité, mais varie selon les
terres rares et les produits
Le recyclage représente actuellement moins de 1 % de la
production en fin de vie. Il n’y a que quelques grammes, difficiles à isoler,
dans les téléphones portables. Par contre, les japonais arrivent à recycler un
tiers des terres rares utilisées dans le processus de fabrication des aimants
permanents. Le recyclage pourrait aussi se développer pour les batteries et
la filière phosphore.
Tout dépend néanmoins des conditions économiques. Si l’on peut
aujourd’hui techniquement recycler, encore faut-il que le recyclage ait un
sens économique. Tout dépend donc de l’évolution de la demande et du prix
des terres rares. Tant qu’il y a une augmentation exponentielle de la
consommation, le recyclage aura une valeur marginale. Le recyclage n’est
par ailleurs possible que si les prix sont suffisamment élevés pour le rendre
rentable.
Les terres rares lourdes peuvent être recyclées, du fait de leur prix. Le cérium et le lanthane ne valent que 7 dollars/kg, alors que l’europium atteint 1300dollars/kg. Solvay a commencé le recyclage des poudres de luminophore qui tapissent les verres des lampes basse consommation.
De son coté, Renault a fait une étude sur la localisation
quantitative des aimants permanents dans ses véhicules et conclu que seuls
les hauts parleurs de radio et les moteurs de conduite assistée pourraient
justifier un démontage préalable avant leur récupération pour recyclage ».
Peut-on se passer du négoce ?
Quelle est l’utilité du négoce ? Qui en sont les acteurs ? Quel
volume d’activités traitent-ils ?
La France a eu pendant longtemps une activité de négoce des
métaux. Le Comptoir Lyon Alemand Louyot en était le spécialiste. Mais le
comptoir a été vendu. Il en a été de même pour ses stocks.
Quelles en sont aujourd’hui les conséquences ? Peut-on se passer
en France d’activités de négoce ? À quel niveau doivent-elles être
organisées ?
Ces questions, comme celles portant sur la spéculation, méritent
d’être étudiées et débattues dans le cadre d’une audition publique sur le
marché des matières premières critiques et stratégiques.
QUEL EST LE MODÈLE ÉCONOMIQUE SOUS-JACENT ?
L’analyse de M. Alain Liger retrace bien les différentes étapes
nécessaires à l’utilisation par l’industrie des terres rares :
« Trouver puis exploiter de nouvelles ressources suppose des
délais importants ; les gisements de terres rares obéissent là à des méthodes
analogues à tous les minerais.
Les phases d’exploration (identification de cibles) peuvent durer
deux à trois ans. Il faut ajouter à ce délai le fait que toutes les cibles
identifiées ne donnent pas lieu à poursuite de l’exploration car elles se
révèlent « négatives » à un stade ou un autre du processus. Les phases
successives de forage systématique durent chacune de l’ordre d’une année.
En parallèle, on effectue des études métallurgiques visant à étudier
comment on pourrait libérer le contenu du minerai, ce qui est spécifique à
chaque composition de minerai ; les différentes phases de laboratoire
peuvent prendre plusieurs années ; dans une certaine mesure, les phases
exploration et études en laboratoire peuvent être menées en parallèle, mais le laboratoire a besoin que des forages ou des travaux miniers aient prélevé
du minerai. Les études de laboratoire sont suivies de phases (parfois
plusieurs) de pilotage industriel du processus qui peuvent durer entre
quelques mois et quelques années.
Ces éléments techniques sont accompagnés de chiffrage des
coûts d’investissement et de production, qui alimentent la recherche des
financements, en fonds propres et en dette. L’évaluation financière est
rendue sensible par le fait que les prix d’échange des terres rares ne
relèvent pas d’un mécanisme de bourse, mais de contrats privés. De plus
ces prix varient.
Une fois les financements obtenus, pour une petite mine à ciel
ouvert, il faut deux ou trois ans pour l’amener à production. La suite n’est
pour autant pas assurée ; par exemple, la société Lynas est en difficulté
financière (le cours de son action a plongé).
Pour convaincre les financeurs (investisseurs en fonds propres
ou prêteurs), il faut en général négocier des engagements d’enlèvement, en
échange de prêts par les clients (« off-take »). Ainsi, Lynas a monté ses
financements avec des entreprises qui se sont engagées à acheter sa
production et lui ont prêté de l’argent, par exemple Mitsubishi ».
LA RECHERCHE ET LA FORMATION EN TERRES RARES
IL EST NÉCESSAIRE D’AGIR
Quel est l’état actuel de la recherche ? Les moyens qui y sont
consacrés sont-ils suffisants ? Dans quels domaines pourrait-on la stimuler ?
Quels partenariats pourrait-on promouvoir, tant en France qu’avec
l’étranger ?
Comment les futurs spécialistes des terres rares et plus
globalement des matériaux critiques peuvent-ils se former ? Quels sont les
besoins de formation ?
A. UN EFFORT MOINS EFFICACE QUE DANS LE PASSÉ
De manière générale, l’Europe faisait 50 % de la production
d’articles scientifiques en métallurgie au début des années 90, en
métallurgie extractive. Aujourd’hui, moins d’un tiers, la moitié étant
désormais faite par la Chine.
M. Paul Caro estime qu’il y a de moins en moins de grands
laboratoires de recherche sur les terres rares. Il rappelle qu’il y en avait en
Russie, et qu’il y en a un aux États-Unis, à Ames dans l’Iowa. Il souligne
qu’en France, le laboratoire des terres rares du CNRS n’existe plus et que le
CNRS est beaucoup moins intéressé qu’autrefois, et qu’en conséquence il se
passe très peu de choses en France.« il y a des gens compétents en France
sur les terres rares mais les compétences ont tendance à disparaître, car les
chercheurs vieillissent. La recherche appliquée a disparu, comme le dit
M. Caro sur la séparation des terres rares, mais ce n’est plus un sujet de
recherche car les technologies sont connues ».
LA RECHERCHE EST NÉANMOINS VIVANTE
1. Elle découle de l’activité de plusieurs laboratoires
Les travaux sur le terbium, l’erbium, l’ytterbium au CNET de
Bagneux ont permis de trouver la transformation par les terres rares du
signal infrarouge en signal visible.
Le CNRS et le CEA travaillent ensemble sur le prométhium,
élément qui n’existe pas dans la nature, mais est un résidu de traitement
dans les centrales nucléaires. Il est fluorescent, ce qui a eu des applications
spatiales.
Le CNRS et le CEA travaillent aussi sur les procédés
métallurgiques. Leurs travaux sont publiés et ont été scannés par l’ADEME
pour le COMES.
Plusieurs laboratoires du CNRS travaillent sur les terres rares :
l’Institut Néel à Grenoble (sur les supraconducteurs à haute température
critique, le magnétisme, le stockage de l’hydrogène) ; l’Institut de
recherches sur la catalyse et l’environnement IRCELYON, l’Institut de
chimie des milieux et des matériaux de Poitiers (IC2MP), l’Unité de
catalyse et chimie du solide (UCCS) de Lille. D’autres laboratoires sont
concernés.
La recherche de matériaux plus performants est une piste
intéressante. Le recyclage des matériaux doit également être étudié. Il en est
de même pour la recherche sur les solutions innovantes, les procédés de
production innovants, les substituts, la diminution de la quantité de métaux
rares dans les matériaux de catalyse, dans les matériaux de batteries, et dans
les éoliennes.
2. L’exemple du laboratoire de Thiais en montre la
diversité
Les grands axes de recherche du laboratoire de l’Institut de
chimie et des matériaux de Paris Est à Thiais ont été présentés par
M. Michel Latroche : — 43 —
« Dans le domaine des terres rares, ces recherches portent sur
les batteries, par le remplacement de terres rares stratégiques ; sur les
alliages métalliques pour le nucléaire ; sur des composites oxyde-oxyde
pour les turbines haute température ; sur les aimants permanents (qui vont
jusqu’à des applications médicales, en association avec des biologistes
pour travailler avec des nanoparticules pour éliminer les cellules par
augmentation de la température de ces nanoparticules) ; sur la maladie
d’Alzheimer, sur la maladie de Parkinson.
Ce laboratoire travaille avec l’Université de Créteil, le Centre
hospitalier universitaire Henri Mondor, l’Institut de cancérologie Gustave
Roussy, le laboratoire Croissance cellulaire, Réparation, et Régénération
Tissulaire (CRRET), le CEA, la SAFT, l’ONERA et d’autres partenaires ».
DANS QUELS DOMAINES FAUDRAIT-IL DÉVELOPPER
LA RECHERCHE ?
1. Quels sont les besoins en recherche fondamentale sur
les terres rares ?
M. Paul Caro estime qu’on ne sait pas s’il y a un besoin de
recherche fondamentale sur les terres rares. Il remarque que de grands
solitaires ont fait des études fondamentales, notamment en théorie quantique
et en mathématique avancée qui rend nécessaire l’utilisation d’ordinateurs
très puissants. Il souligne que restent des problèmes pour spécialistes, liés à
la séparation de niveau, mais que la situation est différente pour la
recherche appliquée qui est active, notamment à Grenoble (laboratoire
Louis Néel). Or le magnétisme des terres rares peut exiger des recherches
appliquées.
D’autres personnes entendues estiment par contre que la
recherche fondamentale est toujours nécessaire car la recherche appliquée
en dépend étroitement.
2. Il faudrait susciter des recherches en toxicologie.
Pour M. Roland Masse, « la toxicologie est faible en France. On
ne la considère pas au niveau qu’il faudrait. On dépend des Anglais, des
Américains, des Hollandais. Le CEA a fait pendant une certaine période la
toxicologie. Ce n’est plus la tendance actuelle. La toxicologie n’est pas
valorisée dans une carrière de chercheur, car les publications ne sont pas
faites dans des revues à fort impact.
Les laboratoires potentiellement intéressés sont ceux concernés
par l’enseignement de la toxicologie. Actuellement, on fait des études de
toxicologie moléculaire. On ne sait plus faire l’intégration complète. Il n’y
a pas de financement de LABEX en toxicologie, d’autant plus qu’au niveau
européen, la tendance est à la diminution des expérimentations animales.
Or on fait ces études toxicologiques sur les animaux.
Les terres rares sont des inputs de tout un ensemble de biens,
mais, pour les incorporer, il faut les extraire du minerai, puis les séparer
les unes des autres, fabriquer les produits intermédiaires puis les
incorporer. Par exemple, les téléphones portables, les éoliennes de grande
puissance et les automobiles contiennent des terres rares (néodyme et
dysprosium) dans des aimants ; ces terres rares sont dans des alliages.
L’industrie « aval » est donc dépendante certes du risque de contrôle des
gisements miniers, mais aussi du degré de contrôle de la technologie de
fabrication des alliages à haute conductivité, puis des aimants eux-mêmes.
La dépendance ne concerne pas seulement les minerais, mais toute la
chaîne des technologies dans un écosystème complexe.
Un métal critique est un métal pour lequel il y a pénurie, soit
organisée pour des raisons politiques, soit naturelle, pour des causes
géologiques. Il y a alors un emballement de la demande à laquelle l’offre ne peut pas répondre. C’est le cas du néodyme, du dysprosium, du praséodyme
utilisés dans les aimants permanents.
Dans un téléphone portable, il y en a quelques grammes, dans
une éolienne, 600 kg. La situation est critique car la demande s’est emballée
ou va s’emballer.
Mais parfois, les métaux critiques deviennent stratégiques, et
là il y a un problème. Si on développe les éoliennes en mer, le minerai (une
terre rare en l’occurrence) devient stratégique alors qu’il était déjà critique.
Quand on définit une politique de l’État, il faut se demander
si cette politique va avoir un impact sur les matières premières. Les terres
rares vont diminuer la dépendance en hydrocarbures, mais vont nous faire
rentrer dans une dépendance en métaux stratégiques.
Pour cerner l’ensemble des problèmes, il est donc souhaitable
de s’intéresser aux matières premières stratégiques et critiques.
Les minerais critiques sont tous différents et ont une
problématique différente. Au-delà des terres rares, on trouve dans cette liste
révisée de manière régulière :
- des produits utiles à l’électronique : Gallium, germanium,
tellure, tantale, sélénium ;
- des métaux servant à des alliages spéciaux, comme le tungstène,
le molybdène, le cobalt ;
- des métaux du groupe du platine (platine, palladium, rhodium),
qui sont des catalyseurs ou des agents de catalyse ;
- le charbon à coke ;
- le béryllium, petit métal très spécifique produit dans une seule
mine aux États-Unis et qui a des usages dans l’électronique pour les
contacteurs, dans le nucléaire et le secteur de la défense.
QUEL EST LE RISQUE DE PÉNURIE ? QUEL EST LE
RISQUE STRATÉGIQUE ?
1. Pour les terres rares
Les terres rares sont relativement abondantes. Il y en a pratiquement partout.
Pour M. Michel Latroche, « les terres rares sont très abondantes
sur terre; il n’y a donc pas de problème de ressources. L’intérêt stratégique
n’est pas sur l’approvisionnement, mais sur la fourniture d’alliages, ou la
maîtrise des procédés ».
Le problème n’est pas une pénurie physique, mais l’obligation de
s’approvisionner à l’étranger et majoritairement dans un seul pays.
L’important est alors d’évaluer le risque-pays. Le risque est actuellement
modéré lorsqu’il s’agit du Japon.
SAFT, grand consommateur de terres rares, commande ainsi ses
alliages au Japon, car il n’y a pas de fournisseurs en Europe qui offrent des
produits de même qualité. Les Japonais ont par ailleurs une meilleure
maîtrise technologique pour les matériaux de batteries, pour les
compositions des alliages, pour les microstructures (morphologie des
poudres). Or il importe à SAFT de pouvoir proposer des ajustements très fins des compositions des alliages nécessaires à ses batteries pour répondre
au cahier des charges de ses clients.
Pour les matières premières non agricoles et non
énergétiques
En Europe de l’Ouest, il n’y a plus de métaux. La Chine contrôle
tout le tungstène. La Bolivie contrôle 50 % des ressources de lithium, le
Kivu le tantale.
Un tableau, présenté par M. Maurice Leroy, pose le problème
d’une pénurie annoncée. Il suscite la réflexion, même si un débat existe sur
la fiabilité de ces prévisions. Il serait intéressant de lancer publiquement ce
débat lors d’une audition publique.
ÉLÉMENTS DONT LA PÉNURIE EST ANNONCÉE DANS LES 100 ANS À VENIR
FAUT-IL METTRE EN PLACE DES STOCKS
STRATEGIQUES ?
La constitution de stocks stratégiques
suppose de répondre à plusieurs question comme : connaître les besoins (or
le chiffrage des besoins stratégiques de l’industrie française n’est pas
disponible avec précision) ; savoir quels produits stocker (pour en revenir
aux terres rares : faut-il stocker du métal, des oxydes, des alliages, des
aimants ?) ; savoir de quel événement on veut se prémunir (une interdiction
des exportations de la part de la Chine qui durera trois ans ? Dans un tel
cas, il faudra tenir sur la durée. Une hausse de cours ? On sait qu’on peut
la passer si elle est limitée dans le temps.)
Comment gèrera-t-on la réalisation de l’événement ? Dans
quelles conditions débloquera-t-on les stocks ? Qui servira-t-on ? À quel
prix ? À quel rythme ? Qui les financera ? Les industriels ? L’État ? (Par
exemple, il y a un seul industriel de terres rares en France avec quelques
centaines d’emplois ; l’État est-il responsable de faire et financer un
stockage stratégique ?)
De plus, les réponses à ces questions compliquées doivent rester
confidentielles
LA RECHERCHE DE PRODUITS DE SUBSTITUTION
C’est l’objet de nombreuses études.
Leur résultat est parfois surprenant. C’est ainsi que certains
prévoyaient une pénurie du dysprosium en cas de développement important
des grandes éoliennes (une éolienne nécessite 600 kg de dysprosium par
Mégawatt/heure d’énergie).
Les projets ambitieux de développement d’éoliennes se
heurtaient à l’insuffisance quantitative de cette terre rare, qui, contrairement
à beaucoup d’autres, est véritablement rare.
Or Siemens vient d’annoncer avoir trouvé une nouvelle
technologie de conception des éoliennes qui ne nécessitera plus de
dysprosium. Si cette technologie se répand, le marché de ce produit va en
être transformé.
LA PROSPECTION EN FRANCE
Le sous-sol français est méconnu, et le nombre de géologues
décline. Il n’y a pratiquement plus de mines en activité depuis plus de dix
ans. L’économie de la métallurgie a fortement décliné, alors qu’elle était
forte. Les moyens du BRGM sont insuffisants si l’on souhaite mener une
politique ambitieuse.
On ne connaît pas l’horizon géologique sous les 100 mètres, alors
qu’en Pologne, dans le cuivre, on descend à 1 200 mètres.
Il y a des particules de terres rares, de l’europium entre Rennes et
Nantes. On a des indices. Mais ils ne seront pas confirmés tant qu’on n’aura
pas fait une campagne d’exploration. Une telle campagne aujourd’hui n’est
plus ce qu’on faisait il y a 50 ans. Cela suppose des moyens.
La France pourrait avoir des atouts non soupçonnés.Mais si la France n’a pratiquement plus de mines, ERAMIN est présidé par un Français. Cela ne l’empêche donc pas de jouer un rôle au plan européen.
Tout comme l’aéronautique a sa grande messe, à Farnborough, et
l’automobile la sienne, à Detroit,le monde des terres rares a tenu un grand
raout en octobre dernier. Le 16 octobre à Milan se sont en effet regroupés près
de 150 participants, dont les plus importants décideurs politiques et experts
des terres rares au monde: lors de l’Erecon, le European Rare Earths Competency
Network. Cet événement n’a qu’un seul but simple : donner aux acteurs européens
et mondiaux un accès durable et sécurisé aux terres rares.
La grande question dont ont débattu les participants était de
savoir quelles allaient être les conséquences sur le prix de la réforme du
marché des terres rares en Chine. Un point a été plus particulièrement discuté,
l’importance de la production illégale de terres rares et les mesures prises par
Pékin pour la réduire. Le professeur Dudley Kingsnorth, qui partage avec Jack
Lifton le statut d’expert mondial ès terres rares, a révélé lors de cette
conférence que près de 40% de la production chinoise était illégale. Or la
tolérance de Pékin pour la production de terres rares illégales « est en train
de baisser rapidement » a poursuivi l’analyste Simon Moores. Pour l’analyste de
Benchmark Mineral Intelligence, les terres rares sont trop importantes pour
Pékin pour que le gouvernement laisse longtemps cette production lui
échaper.
Les mesures politiques fortes pour faire fermer ces mines,
mesures dont nous parlions déjà en septembre, pourraient avoir un impact fort
sur les prix. Le risque de pénurie pourrait même revenir si un tiers de la
production mondiale venait à être soustrait au marché brutalement.
Accélération
des réformes chinoises
Les discussions lors de l’Erecon ont dû être
d’autant plus vives qu’en octobre Pékin a décidé d’accélérer le rythme des
réformes devant le maintien d’une surproduction sur le marché des terres rares.
D’abord, un groupe de ministères, dont l’important ministère de l’industrie et
des technologies de l’information (MIIT) et le ministère de la sécurité
publique, ont lancé une vaste campagne contre ces mines s’étalant du 10 octobre
au 31 mars 2015. Surtout, le MIIT a révélé qu’il avait l’intention de
profondément restructurer le marché en créant une traçabilité des terres rares,
une meilleure distinction entre terres rares légères et lourdes, et en
augmentant la fiscalité sur les terres rares moyennes et lourdes. Pour
chapeauter cet ensemble de mesures, le ministère a mis l’accent sur 3 des 6
groupes censés regrouper sous leurs ailes l’ensemble des producteurs de terres
rares. Les 3 compagnies désormais piliers du marché sont China Minmetals
Corporation, Ganzhou Rare Earth Group Co Ltd et Rising Nonferrous Metals Co Ltd.
Cette réorganisation devrait avoir un effet majeur sur le marché. Comme le
résume le géant chinois de la mine Minmetals, puisque la production légale a crû
« modestement » ces dernières années, la plus grande répression contre les mines
illégales fera baisser graduellement la production globale de la Chine, et
mécaniquement soutiendra les prix.
Un marché qui attend toujoursEn attendant que la politique chinoise produise ses premiers effets, les prix des terres rares ont accusé une légère baisse en octobre. Cette situation n’est pas tenable alors même que la consommation mondiale est toujours aussi forte. Les exportations de terres rares ont augmenté de 30% sur les 9 premiers mois de l’année, majoritairement vers les Etats-Unis et le Japon. Surtout, une nouvelle étude prospective réalisée par Transparency Market Research estime que le marché des terres devrait progresser de 3% par an entre 2012 et 2018.
En ce qui concerne le marché du gallium, une nouvelle étude prospective vient de confirmer la tendance haussière. Le cabinet IHS Technology a mis en avant l’importance du marché de l’automobile pour les LED. Encore peu présente, les LED pourraient faire irruption dans les phares et le système d’éclairage de jour des automobiles. Résultat, le marché pourrait atteindre cette année 1 milliard de dollars, soit une progression de 11% comparé à 2013.